• "Tu sais ce que j’arrive pas à comprendre ? Y a un tas de gens qui se tuent à t’expliquer que t’es géniale, intelligente, drôle, pleine de talent et tout – moi, par exemple, je te le répète depuis des années, non ? Et tu veux toujours pas l’admettre ! Pourquoi on te le répète, à ton avis ? Tu crois peut-être que t’es victime d’une sorte de conspiration, et que les gens ont secrètement décidé d’être sympa avec toi ?"

    Un jour de David Nicholls

     

    Résumé

    Lui, Dexter, issu d'un milieu aisé, séduisant, sûr de lui, insouciant.
    Elle, Emma, d'origine modeste, charmante qui s'ignore, bourrée de complexes, de principes et de convictions.

    Nous sommes le 15 juillet 1988. Margaret Thatcher est au pouvoir, la new wave bat son plein, Dexter et Emma viennent de passer une nuit ensemble. Ces deux-là ne le savent pas encore mais ils ont vécu un coup de foudre.

    D'année en année, Dexter et Emma vont se chercher, se perdre, s'aimer, se détester, se séparer, et finir par comprendre qu'ils ne sont jamais aussi heureux que lorsqu'ils sont ensemble.

    Nous sommes le 15 juillet 2004. Tony Blair est Premier ministre, Robbie Williams cartonne et la vie, la vie qui va, réserve encore bien des surprises...

    Chronique

    Voilà un livre dont je n'attendais pas beaucoup... Je pense que je ne l'aurais d'ailleurs pas lu et que j'aurais fini par regarder un jour le film, si on ne me l'avait pas conseillé en me disant que le personnage féminin me ressemblait beaucoup... Vous en conviendrez, il y avait de quoi piquer ma curiosité... Et il n'a pas fallu longtemps pour que je me mette à le lire. Encore moins longtemps pour que je le termine.

    Je dois bien avouer que je m'attendais à une love story stéréotypée et sans grand intérêt, mais Un jour s'est révélé être plus que ça. C'est une sorte de comédie de mœurs ironique, truffée d'humour narquois, un roman sur les désillusions, les non-dits, les mauvais choix, mais aussi sur la force des liens qui peuvent unir deux personnes au travers d'une vie, malgré les distances qui peuvent s'immiscer entre eux. Au fond, un roman peut être réussi pour plusieurs raisons... D. Nicholls est un conteur d'histoires, il vous embarque dès les premières lignes, maniant merveilleusement un humour parfois assez noir et proposant des personnages qui sont loin d'être lisses. 

    La structure du roman est assez originale: chaque chapitre nous donne l'occasion de retrouver les personnages à une année d'intervalle et à une même date - le 15 juillet -, ce qui permet de suivre leur évolution et leur parcours pendant 20 ans. Les ellipses créées par ce choix narratif sont un très bon moyen de créer une certaine attente chez le lecteur et de vous donner envie de poursuivre votre lecture.

    Emma et Dexter ont étudié ensemble à l'université, se croisant et s'observant de loin. Tout les oppose. Sûr de lui et de ses charmes, il vient d'un milieu aisé, rêve de célébrité et de conquêtes (féminines), ne s'intéresse pas à la politique (qu'il trouve ennuyeuse).. Bourrée de complexes et d'idéaux, elle vient d'un milieu modeste, rêve de changer le monde, de faire quelque chose de sa vie - mais quoi, au fond? -, est terriblement angoissée par l'avenir... Ce n'est que pendant la nuit de leur remise de diplôme qu'ils apprennent à se connaître. Love story étouffée dans l’œuf, puisque Dexter part le lendemain à l'étranger, ils n'en resteront pas moins amis, croisant leurs routes aussi souvent qu'ils le peuvent durant de nombreuses années.  "Em et Dex" sont à la fois attachants et à la fois infiniment agaçants: ils sont complexes - humains, en somme. Ce qui va encore à l'encontre de la romance un peu banale à laquelle je m'attendais. C'est l'histoire de deux personnes qui se cherchent (elles-mêmes et l'une l'autre), qui tentent de trouver leur place dans la société moderne, leur part de bonheur. Bref, c'est un peu Les illusions perdues de Balzac sur fond de musique pop... Une belle surprise, pour ma part ! À ne pas lire cependant si vous avez envie d'une belle romance qui finit en "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants..."

    Avez-vous lu ce livre? À vos plumes !

     


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  • "Il était parti quand, le lendemain, je descendis prendre ma tasse de lait matinale. Ma nièce avait préparé le déjeuner comme chaque jour. Elle me servit en silence. Nous bûmes en silence. Dehors luisait au travers de la brume un pâle soleil. Il me sembla qu’il faisait très froid."

    Le silence de la mer de Vercors

     

    Résumé

    Hiver 1940, la France est défaite. En province, dans une ancienne demeure, un vieil homme et sa nièce voient une partie de leur habitat réquisitionnée pour héberger un officier allemand. Lors des veillées, dans la grande cuisine, seule pièce chauffée, au coin de l’âtre, l’officier leur rend visite et essaye d’établir un contact. Enfermés dans leur mutisme, les deux hôtes écoutent sans mot dire. De long monologues sur l’amour des peuples, la coopération, l’admiration de la culture française émanent de cet homme fin et cultivé, musicien de profession. Il croit à l’avenir d’une Europe unifiée où chacun respecte l’autre et y apporte son particularisme. Il croit en la pluralité des cultures et des idées. En face de lui, seul le silence lui répond.

    Chronique

    Le silence de la mer est le premier texte publié aux éditions Minuit, maison d'édition clandestine et de résistance lancée en 1941 par Jean Bruller. Il est signé par Jean Bruller lui-même et publié sous le pseudonyme de Vercors, qui n'est autre que son nom de résistant. Il s'agit d'une nouvelle, très courte, mais incroyablement poignante et j'ai peur de manquer de mots pour vous en parler comme elle le mériterait...

    En France, au début de l'Occupation et au bord de la mer, un vieil homme et sa nièce se trouvent forcés de partager leur maison avec un officier allemand. N'ayant que peu d'armes pour lutter contre l'invasion de l'ennemi, contre l'absurdité de la guerre, c'est en se terrant dans un mutisme sans failles qu'ils vont répondre à l'occupant. Et ce silence qu'il impose à l'officier allemand contient en lui toute l'essence de la résistance et de la réprobation. Pourtant, une relation se construit. L'officier allemand est francophile, cultivé, poli... et tous les soirs, il prend le prétexte de venir se réchauffer au coin du feu et se lance dans de longs monologues sur la culture française, l'Allemagne, et l'union de ces deux peuples qu'il espère de toutes ses forces, n'attendant aucune réponse, se contentant de capter certains regards, admirant la force et le courage de ses hôtes contraints. Si la force de cette nouvelle se trouve dans la résistance qui se dégage des deux personnages français, elle est aussi dans le fait que Vercors n'a pas cédé à la facilité en présentant un officier nazi haineux et détestable. L'officier est en réalité un homme qui s'illusionne, prend la guerre pour ce qu'elle n'est pas, croit en l'harmonie des peuples, et dont le réveil sera douloureux. Ce qui fait du Silence de la mer une nouvelle forte et complexe et pas un texte de propagande manichéen. Le message véhiculé n'en est que plus fort. 

    Avez-vous lu ce classique de la littérature française? 

     


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  • "Je dois préciser que je suis un homme d'âge moyen qui mène une vie plutôt sédentaire, évite soigneusement tout exercice et s'adonne à des abus de nourriture et d'alcool. Autrement dit, je suis gros et en très mauvaise forme physique."

    Escale dans le bush australien: Le koala tueur et autres histoire du bush, de Kenneth Cook

    Résumé

    "Je n'aime pas les koalas. Ces sales bêtes, aussi hargneuses que stupides, n'ont pas un poil de gentillesse. Leur comportement social est effroyable - les mâles n'arrêtent pas de se tabasser ou de voler les femelles de leurs semblables. [...] Leur fourrure est infestée de vermine. Ils ronflent. Leur ressemblance avec les nounours est une vile supercherie. Il n'y a rien de bon chez eux. Sans parler du fait qu'un jour, un koala a essayé de me jouer un tour pendable." Avec ses redoutables crocodiles, ses excentriques mineurs d'opales, ses koalas féroces et ses cochons sauvages assoiffés de sang, l'impitoyable bush australien reste un territoire indompté. Et ce n'est pas Kenneth Cook qui aurait pu le soumettre ! Pour ce qui devait être l'un de ses plus grands succès de librairie, Cook a réuni peu avant sa disparition ces histoires courtes toutes plus hilarantes les unes que les autres, inspirées par ses tribulations à travers l'Australie.

    Chronique

    En décembre, c'est en Australie que j'ai fait escale, dans le cadre de mon tour du monde littéraire... Le koala tueur et autres histoires du bush est un recueil de 15 petites nouvelles, chacune centrée sur l'un des animaux féroces, exotiques et étranges que l'auteur dit avoir croisé lors de son périple australien. D'après lui, chacune de ces rencontres avec la faune sauvage s'est déroulée comme il le raconte ici... Bien sûr, nous pouvons en douter; mais, il n'en reste pas moins que K. Cook nous propose ici un recueil délicieux, dépaysant et bourré d'humour. Ses rencontres avec la faune australienne, koalas tueurs, chameaux à l'haleine fétide, et autres serpents fourbes..., mais aussi celles avec quelques humains - toujours accoudés à un quelconque bar - sont racontées avec une plume très agréable, truffée de traits d'esprits et surtout avec beaucoup d'autodérision. Ce qui est peut-être l'élément le plus intéressant du recueil.  À lire comme 15 petits plaisirs sucrés et épicés... 


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  • "L'avenir est trop immense pour qu'elle l'imagine, il arrivera, c'est tout."

    Les années: Annie Ernaux et l'autobiographie "collective"

     

    Résumé

    "La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer." Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.

    Chronique

    Il y a, derrière le roman Les années, un projet littéraire clairement défini par l'auteur. Il s'agit d'innover en proposant une forme d'autobiographie neuve et impersonnelle, ou plutôt interpersonnelle. De ce point de vue, ce livre est clairement une réussite. L'autobiographie est à la fois personnelle - l'auteure nous livre ses souvenirs des années 50 à nos jours - et impersonnelle par l'utilisation du pronom "elle" qui vient remplacer le "je" traditionnel de l'autobiographie. Le récit est également désincarné - et par là collectif - par l'utilisation du pronom "on" qui intervient en alternance avec le "elle" dépersonnalisé. Annie Ernaux livre un roman très féminin et féministe, où l'on (re)découvre l'histoire de la condition des femmes françaises à travers les décennies où les choses ont commencé à évoluer pour elles et par elles (ouf!): la pilule, Mai 68, la liberté sexuelle, la loi sur l'avortement... (Et Beauvoir en toile de fond, clin d’œil que j'ai beaucoup apprécié.) Cette histoire féminine collective est mêlée à une histoire féminine plus personnelle, ce qui donne un éclairage particulier à l'Histoire. Pour moi, c'est la grande force de ce roman autobiographique. 

    "La honte ne cessait de menacer les filles. Leur façon de s'habiller et de se maquiller, toujours guettée par le trop: court, long, décolleté, étroit, voyant, etc."

    Ce récit est par ailleurs servi par une très belle plume, dans la tradition de l'esthétisme littéraire à la française. Annie Ernaux écrit une langue très pure, avec un sens de la formule à toute épreuve. 

    "Avoir lu Simone de Beauvoir ne servait à rien qu'à vérifier le malheur d'avoir un utérus."

    Le fait d'utiliser des photos comme déclencheur des souvenir m'a vraiment fait penser à L'amant de Marguerite Duras, que j'avais vraiment aimé. 

    Par contre, j'ai trouvé que le fait de couvrir une si large période de temps (plus ou moins 50 ans) mêlé à l'écriture qui se veut impersonnelle et désincarnée empêche le lecteur d'entrer réellement dans le roman et d'en apprécier complètement le fond. Cela a rendu ma lecture parfois un peu fastidieuse et je le regrette. 

    Avez-vous lu ce roman? Qu'en avez-vous pensé? À vos plumes ! 


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  • Kafka sur le rivage, d'Haruki Murakami: mon coup de coeur de 2014 !     Kafka sur le rivage, d'Haruki Murakami: mon coup de coeur de 2014 !

     

    Que dire... Plus j'avançais dans ce roman et plus je me demandais comment j'allais bien pouvoir vous en parler. Murakami est un auteur que j'aimais déjà beaucoup, mais je pense que c'est dans ce roman que l'on perçoit vraiment tout son art. Une merveilleuse découverte et clairement le plus beau livre lu en 2014 pour moi ! 

    Résumé

    Kafka Tamura, quinze ans, fuit sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. Nakata, vieil homme simple d'esprit, décide lui aussi de prendre la route, obéissant à un appel impérieux, attiré par une force qui le dépasse. Lancés dans une vaste odyssée, nos deux héros vont croiser en chemin des hommes et des chats, une mère maquerelle fantomatique et une prostituée férue de Hegel, des soldats perdus et un inquiétant colonel, des poissons tombant du ciel, et bien d'autres choses encore. Avant de voir leur destin converger inexorablement et de découvrir leur propre vérité.

    Chronique

    S'il fallait décrire ce livre en un mot, je dirais que c'est un roman enveloppant. Dès les premières pages, j'ai été emportée dans l'univers de Murakami et il est parvenu à me garder dans son navire - ou plutôt dans son OVNI -  jusqu'à la fin. J'ai été captivée et je n'avais pas du tout envie de quitter cet univers. Même lorsque vous posez le roman et reprenez le cours de vos activités, le roman vit en vous. 
    Et, comme Kafka et Nakata, vous flottez quelque part à la frontière entre réalité et fiction.

    Au début, l'histoire semble tout à fait réaliste; mais l'onirisme et le fantastique surgissent très vite dans la réalité et les frontières se brouillent entre rêve et réalité. La critique littéraire considère souvent que Murakami s'inscrit dans la lignée des auteurs du réalisme magique. Personnellement, je ne suis pas tout à fait convaincue. Sans doute parce que les codes et l'esthétisme de la littérature japonaise sont assez éloignés de ceux de la littérature hispano-américaine qui a vu naître ce mouvement littéraire. Également, parce que pour moi Murakami est un génie littéraire - n'ayons pas peur des mots - inclassable, avec un style très personnel et tellement inventif... Une imagination débordante et sans limites ! 

    Dans Kafka sur le rivage, comme dans l'oeuvre de Murakami en général, les frontières entre la réalité et le rêve ne sont jamais définies, tout comme les frontières entre les univers et les vies des personnages, dont les chemins se croisent et se décroisent. Ces personnages sont complexes, touchants et sensibles. Murakami nous les dépeint de manière à ce que l'on puisse s'attacher à chacun d'eux, pas uniquement aux deux personnages principaux. Les autres personnages ne sont pas des instruments presque transparents qui ne sont là que pour faire avancer l'histoire, ce sont des personnages entiers, consistants. Tout est travaillé chez Murakami: l'histoire, les personnages, l'univers... Ce qui donne un ensemble merveilleusement réussi.

    Très vite, l'univers de Murakami nous submerge et nous dépasse. C'est là que, comme Kafka sur le rivage - on comprend qu'il s'agit du rivage entre la réalité et le rêve - , nous devons choisir notre route: nous laisser porter par le roman, sans chercher à tout comprendre; ou s'accrocher à la réalité à tout prix et perdre la magie dans laquelle nous transporte Murakami. Toutes nos questions ne trouvent pas réponse. Pourtant, j'ai reposé le livre heureuse, enveloppée par cette magie, pour une fois sans vouloir à tout prix tout comprendre, tout rationaliser. Je pense que c'est un peu là le secret pour apprécier complètement ce roman: acceptez que l'auteur ne veuille pas répondre à toutes nos interrogations et laissez-vous emporter... 

    Finalement, il y a une question à laquelle j'ai bien envie d'avoir une réponse: quand Murakami aura-t-il enfin le prix Nobel de littérature qu'on nous promet depuis plusieurs années? 

    Envie de rejoindre Kafka sur son rivage?


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