• "Il était parti quand, le lendemain, je descendis prendre ma tasse de lait matinale. Ma nièce avait préparé le déjeuner comme chaque jour. Elle me servit en silence. Nous bûmes en silence. Dehors luisait au travers de la brume un pâle soleil. Il me sembla qu’il faisait très froid."

    Le silence de la mer de Vercors

     

    Résumé

    Hiver 1940, la France est défaite. En province, dans une ancienne demeure, un vieil homme et sa nièce voient une partie de leur habitat réquisitionnée pour héberger un officier allemand. Lors des veillées, dans la grande cuisine, seule pièce chauffée, au coin de l’âtre, l’officier leur rend visite et essaye d’établir un contact. Enfermés dans leur mutisme, les deux hôtes écoutent sans mot dire. De long monologues sur l’amour des peuples, la coopération, l’admiration de la culture française émanent de cet homme fin et cultivé, musicien de profession. Il croit à l’avenir d’une Europe unifiée où chacun respecte l’autre et y apporte son particularisme. Il croit en la pluralité des cultures et des idées. En face de lui, seul le silence lui répond.

    Chronique

    Le silence de la mer est le premier texte publié aux éditions Minuit, maison d'édition clandestine et de résistance lancée en 1941 par Jean Bruller. Il est signé par Jean Bruller lui-même et publié sous le pseudonyme de Vercors, qui n'est autre que son nom de résistant. Il s'agit d'une nouvelle, très courte, mais incroyablement poignante et j'ai peur de manquer de mots pour vous en parler comme elle le mériterait...

    En France, au début de l'Occupation et au bord de la mer, un vieil homme et sa nièce se trouvent forcés de partager leur maison avec un officier allemand. N'ayant que peu d'armes pour lutter contre l'invasion de l'ennemi, contre l'absurdité de la guerre, c'est en se terrant dans un mutisme sans failles qu'ils vont répondre à l'occupant. Et ce silence qu'il impose à l'officier allemand contient en lui toute l'essence de la résistance et de la réprobation. Pourtant, une relation se construit. L'officier allemand est francophile, cultivé, poli... et tous les soirs, il prend le prétexte de venir se réchauffer au coin du feu et se lance dans de longs monologues sur la culture française, l'Allemagne, et l'union de ces deux peuples qu'il espère de toutes ses forces, n'attendant aucune réponse, se contentant de capter certains regards, admirant la force et le courage de ses hôtes contraints. Si la force de cette nouvelle se trouve dans la résistance qui se dégage des deux personnages français, elle est aussi dans le fait que Vercors n'a pas cédé à la facilité en présentant un officier nazi haineux et détestable. L'officier est en réalité un homme qui s'illusionne, prend la guerre pour ce qu'elle n'est pas, croit en l'harmonie des peuples, et dont le réveil sera douloureux. Ce qui fait du Silence de la mer une nouvelle forte et complexe et pas un texte de propagande manichéen. Le message véhiculé n'en est que plus fort. 

    Avez-vous lu ce classique de la littérature française? 

     


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  • La citation de la semaine [12]

     Marc Chagall, Fleurs et couple enlacé, 1972

    "Dans la torpeur des siestes, derrière les persiennes, se rappeler encore les étreintes lorsqu'elles s'achevaient, les draps froissés, les corps rassasiés, alanguis, ton cou où la veine avait gonflé, le creux de ton torse où perlait de la sueur, les mots que je devinais sur le bord de tes lèvres et que tu ne prononçais pas."

    Philippe Besson, Se résoudre aux adieux.

     

     


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  • Décembre et ses aventures livresques

     

    Quelque peu en retard (à cause de la neige, dirons-nous...), voici le bilan livresque de décembre...

    Souvenez-vous, le mois avait merveilleusement commencé avec, sans conteste, mon coup de coeur de 2014: Kafka sur le rivage et Haruki Murakami au sommet de son art. J'ai rarement envie de relire les livres, mais là je l'aurais bien ouvert de nouveau tout de suite après l'avoir terminé... Murakami est sans aucun doute mon écrivain contemporain favori. Si vous voulez en savoir davantage, ma chronique est par ici ! 

    Ensuite, j'ai lu Les années d'Annie Ernaux: roman autobiographique original, qui contient un projet littéraire très intéressant, mais à mon sens pas totalement abouti. Ma chronique est par là !

    Après le Japon et la France, et dans le cadre de mon challenge "tour du monde littéraire", j'ai visité le bush australien, guidée par Kenneth Cook et son recueil Le koala tueur et autres histoires du bush: un petit moment de lecture savoureux et très drôle. Ma chronique est ici ! 

    Enfin, au coin du sapin, j'ai lu deux très belles lectures de noël. D'abord, Le chant de noël de Charles Dickens, grand classique de la littérature de noël, plus connu sous le nom de L'étrange noël de Monsieur Scrooge (merci Disney...). Je connaissais bien sûr l'histoire, mais ne l'avais jamais lue et ce fut une lecture très agréable. La véritable histoire de noël de Marko Leino. C'est un superbe roman jeunesse finlandais, servi par une très belle plume. J'au été agréablement surprise par la qualité de l'histoire et de l'écriture, moi qui ne suis pas très romans jeunesse... L'esprit de noël est très présent et le roman est empli d'une grande tendresse qui ne peut que toucher le lecteur. Bref, une lecture absolument parfaite pour cette période de l'année.

    Décembre et ses aventures livresques: du Japon à l'Australie, en passant par la France et la Finlande !

     

    Book Jar:

    Les livres tirés au sort pour être enfin sortis de ma PAL ce mois-ci sont.... *roulement de tambour*:

    Le silence de la mer, de Vercors

    et 84, Charling Cross Roadde Helene Hanff

    Je vous souhaite de très belles lectures en ce premier mois de 2015 !


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  • "C'était mon vrai moi qui se révélait. En arrêtant de dormir, j'avais élargi ma conscience. Ce qui est important, c'est la force d'attention, me disais-je. Les gens qui n'ont aucune puissance de concentration auront beau écarquiller les yeux, ils ne verront rien."                                        

    Sommeil, de Haruki MurakamiSommeil, de Haruki Murakami

    Résumé

    Japon, de nos jours. Une femme, la trentaine. Elle est mariée, elle aime son mari. Le matin, elle prépare le repas. L'après-midi, elle prend la voiture pour aller faire les courses. Parfois, elle va nager à la piscine. La nuit, elle relit Anna Karénine. Elle vit sa vie comme un robot. Car cette femme ne dort plus depuis dix-sept nuits. Du coup, la femme fait des rêves, étranges, beaux, angoissants…Ou peut-être est-ce la réalité…

    Chronique 

    Avant d'en venir à la nouvelle à proprement parler, je pense qu'il faut commencer par souligner le magnifique travail d'édition réalisé par 10/18 pour ce livre. La nouvelle est ornée d'une superbe couverture, comme un écrin, aux couleurs nocturnes; et imprimée sur papier glacé. De plus - et surtout -, l'histoire est accompagnée d'illustrations de la dessinatrice allemande Kat Menschik: illustrations dont l'onirisme et la beauté font parfaitement écho au texte de Murakami. 

    Sommeil, de Haruki MurakamiSommeil, de Haruki Murakami

    La narratrice est une trentenaire, qui mène une vie rangée et ordonnée. Un mari dentiste, une bonne situation, un fils, et une vie dont chaque journée, rythmée par les vies respectives de son fils et de son mari, suit le même schéma: tâches ménagères, préparation des repas, courses... Une existence qui lui semble confortable, mais est loin de la combler. Une vie dont elle pourrait «intervertir sans aucun inconvénient la veille et l'avant-veille». 

    Cependant, au début de la nouvelle, un incident étrange vient bouleverser cette routine: à la suite d'un cauchemar effrayant, aux frontières du rêve et de la réalité, la narratrice arrête de dormir. Il ne s'agit pas d'insomnies, puisque même le besoin de dormir et la sensation de fatigue ont complètement disparu. Lors de ces nuits sans sommeil, elle redécouvre alors le plaisir de la lecture - qu'elle avait abandonné après s'être mariée -, et au fil de ses lectures se redécouvre elle-même, réapprend à prendre du temps pour elle, à s'écouter. Cette période sans sommeil durera 17 nuits: 17 nuits d'éveil, de réveil, durant lesquelles sa conscience va s'éveiller de nouveau au monde et à elle-même. Ces nuits sont comme une seconde vie que l'absence de sommeil lui offre. Peu à peu, sa vie mécanique et répétitive, tout comme son mari et son fils, lui deviennent de plus en plus étrangers et un changement d'abord imperceptible, puis de plus en plus fort, s'opère en elle. Comme à son habitude, Murakami offre une fin ouverte et c'est au lecteur d'écrire la suite de l'histoire...

    C'est toute l'essence de l'art de Murakami et de son univers onirique et troublant qui est contenue dans cette nouvelle. On y retrouve le génie de l'auteur, à son paroxysme, comme dans Kafka sur le rivage et 1Q84. Je suis toujours impressionnée par l'imagination débordante de l'auteur, ainsi que par sa capacité à créer un monde qui n'appartient qu'à lui et dans lequel le lecteur est happé dès les premières pages, les premières lignes... 

    Cette nouvelle pose également des questions: le véritable sommeil n'est-il pas cette vie mécanique que vit la narratrice, la répétition incessante des mêmes tâches, chaque jour. Cette vie centrée sur les besoins de son mari et de son fils, où elle finit par s'oublier elle-même. Par l'absence de sommeil et la redécouverte de la littérature, c'est finalement son moi véritable qui se réveille, se révèle.

    Et bon anniversaire Monsieur Murakami ! 

     


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  • Dans quel monde vivons-nous? Comment réagir face aux événements de cette semaine? Moi, je n'ai pas les mots; alors je voulais juste laisser la parole à un poète belge, Julos Beaucarne, qui, la nuit de l'assassinat de sa femme par un homme qu'ils avaient accueilli chez eux, a écrit cette lettre magnifique et tellement pleine d'humanité... Parce que plus que jamais, nous devons répondre à la haine par l'amour. 

    La citation de la semaine [11]: Lettre ouverte de Julos Beaucarne

    "Amis bien aimés,

    Ma loulou est partie pour le pays de l'envers du décor. Un homme lui a donné neuf coups de poignards dans sa peau douce. C'est la société qui est malade. Il nous faut la remettre d'aplomb et d'équerre, par l'amour, et l'amitié, et la persuasion.

    C'est l'histoire de mon petit amour à moi, arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage, ni vous ni moi, je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et mes 2 chéris qui lui ressemblent.

    Sans vous commander, je vous demande d'aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir, il faut reboiser l'âme humaine. Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires, vous retrouverez ma bien-aimée ; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour. Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses. On doit manger chacun, dit-on, un sac de charbon pour aller en paradis. Ah ! Comme j'aimerais qu'il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles.

    En attendant, à vous autres, mes amis de l'ici-bas, face à ce qui m'arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd'hui : Je pense de toutes mes forces qu'il faut s'aimer à tort et à travers. 

    Julos - nuit du 2 au 3 février 1975 -"


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