• "L'avenir est trop immense pour qu'elle l'imagine, il arrivera, c'est tout."

    Les années: Annie Ernaux et l'autobiographie "collective"

     

    Résumé

    "La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer." Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.

    Chronique

    Il y a, derrière le roman Les années, un projet littéraire clairement défini par l'auteur. Il s'agit d'innover en proposant une forme d'autobiographie neuve et impersonnelle, ou plutôt interpersonnelle. De ce point de vue, ce livre est clairement une réussite. L'autobiographie est à la fois personnelle - l'auteure nous livre ses souvenirs des années 50 à nos jours - et impersonnelle par l'utilisation du pronom "elle" qui vient remplacer le "je" traditionnel de l'autobiographie. Le récit est également désincarné - et par là collectif - par l'utilisation du pronom "on" qui intervient en alternance avec le "elle" dépersonnalisé. Annie Ernaux livre un roman très féminin et féministe, où l'on (re)découvre l'histoire de la condition des femmes françaises à travers les décennies où les choses ont commencé à évoluer pour elles et par elles (ouf!): la pilule, Mai 68, la liberté sexuelle, la loi sur l'avortement... (Et Beauvoir en toile de fond, clin d’œil que j'ai beaucoup apprécié.) Cette histoire féminine collective est mêlée à une histoire féminine plus personnelle, ce qui donne un éclairage particulier à l'Histoire. Pour moi, c'est la grande force de ce roman autobiographique. 

    "La honte ne cessait de menacer les filles. Leur façon de s'habiller et de se maquiller, toujours guettée par le trop: court, long, décolleté, étroit, voyant, etc."

    Ce récit est par ailleurs servi par une très belle plume, dans la tradition de l'esthétisme littéraire à la française. Annie Ernaux écrit une langue très pure, avec un sens de la formule à toute épreuve. 

    "Avoir lu Simone de Beauvoir ne servait à rien qu'à vérifier le malheur d'avoir un utérus."

    Le fait d'utiliser des photos comme déclencheur des souvenir m'a vraiment fait penser à L'amant de Marguerite Duras, que j'avais vraiment aimé. 

    Par contre, j'ai trouvé que le fait de couvrir une si large période de temps (plus ou moins 50 ans) mêlé à l'écriture qui se veut impersonnelle et désincarnée empêche le lecteur d'entrer réellement dans le roman et d'en apprécier complètement le fond. Cela a rendu ma lecture parfois un peu fastidieuse et je le regrette. 

    Avez-vous lu ce roman? Qu'en avez-vous pensé? À vos plumes ! 


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  • La semaine passée, j'ai lu:

    Les années d'Annie Ernaux, dont je vous parlerai très bientôt. Je peux déjà vous dire que le bilan est plutôt en demi-teinte, avec des points très positifs, mais malheureusement quelques points négatifs aussi... 

    C'est lundi, que lisez-vous? [10]

     

    Cette semaine, je lis:

    Encore une semaine de boulot, du coup je résiste tant bien que mal à la PAL concoctée pour la période des fêtes... Je suis l'idée de lire un auteur australien, mais je troque Les heures lointaines de Kate Morton (et ses 800 pages), pour Le koala tueur et autres histoires du bush de Kenneth Cook, que je pourrai lire en une semaine. 

    C'est lundi, que lisez-vous? [10]

    Mes prochaines lectures:

    Comme beaucoup, j'aime la période de noël. En plus, cette année, c'est la première fois depuis longtemps que les vacances de noël ne riment pas avec blocus... Et nous comptons en profiter ! 
    D'habitude, je ne lis pas de livres liés à cette époque, mais cette année j'ai eu envie de me concocter une PAL spéciale *noël*. Voici la photo de groupe (je vous en reparlerai, évidemment):

    C'est lundi, que lisez-vous? [10]

     

    Belle semaine et belles lectures à vous !


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  • "Parfois, le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C'est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois [...] Pourquoi? Parce que cette tempête n'est pas un phénomène venu d'ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle est toi-même et rien d'autre. Elle vient de l'intérieur de toi. Alors, la seule chose que tu puisses faire, c'est pénétrer délibérément dedans, fermer les yeux et entrer, et la traverser pas à pas."

    Haruki Murakami, Kafka sur le rivage

    La citation de la semaine [10]: un Murakami peut en cacher un autre...

    Flower Matango de l'artiste Takashi Murakami, exposition au château de Versailles (2010)


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  • La semaine passée, j'ai lu: 

    Je pense que vous commencez à le savoir maintenant... J'ai lu et adoré (!) Kafka sur le rivage du très grand Haruki Murakami. Pour moi, il s'agit de loin du meilleur roman de l'auteur que j'ai lu (j'en ai lu une dizaine jusqu'à maintenant), suivi de près par la trilogie 1Q84. La chronique est ici!  Et j'espère qu'elle vous donnera envie de découvrir cette pépite littéraire. 

    (Ok, maintenant j'arrête de radoter...)

    C'est lundi, que lisez-vous? [9]

     

    Cette semaine, je lis:

    Les années d'Annie Ernaux. Et pour le moment difficile de dire ce que j'en penserai... À suivre ! 

    C'est lundi, que lisez-vous? [9]

    Mes prochaines lectures:

     J'ai bien envie de reprendre mon challenge"tour du monde littéraire" que j'ai un peu abandonné... Du coup, je vais lire un auteur australien en décembre. Et ce sera probablement Kate Morton avec Les heures lointaines. Je ne connaissais pas du tout et ce n'est pas le genre de roman vers lequel je me tourne d'habitude, mais j'ai entendu une libraire en parler et ça m'a donné envie de découvrir ! 

    C'est lundi, que lisez-vous? [9]

     

    Belle semaine et belles lectures à tous ! 


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  • Kafka sur le rivage, d'Haruki Murakami: mon coup de coeur de 2014 !     Kafka sur le rivage, d'Haruki Murakami: mon coup de coeur de 2014 !

     

    Que dire... Plus j'avançais dans ce roman et plus je me demandais comment j'allais bien pouvoir vous en parler. Murakami est un auteur que j'aimais déjà beaucoup, mais je pense que c'est dans ce roman que l'on perçoit vraiment tout son art. Une merveilleuse découverte et clairement le plus beau livre lu en 2014 pour moi ! 

    Résumé

    Kafka Tamura, quinze ans, fuit sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. Nakata, vieil homme simple d'esprit, décide lui aussi de prendre la route, obéissant à un appel impérieux, attiré par une force qui le dépasse. Lancés dans une vaste odyssée, nos deux héros vont croiser en chemin des hommes et des chats, une mère maquerelle fantomatique et une prostituée férue de Hegel, des soldats perdus et un inquiétant colonel, des poissons tombant du ciel, et bien d'autres choses encore. Avant de voir leur destin converger inexorablement et de découvrir leur propre vérité.

    Chronique

    S'il fallait décrire ce livre en un mot, je dirais que c'est un roman enveloppant. Dès les premières pages, j'ai été emportée dans l'univers de Murakami et il est parvenu à me garder dans son navire - ou plutôt dans son OVNI -  jusqu'à la fin. J'ai été captivée et je n'avais pas du tout envie de quitter cet univers. Même lorsque vous posez le roman et reprenez le cours de vos activités, le roman vit en vous. 
    Et, comme Kafka et Nakata, vous flottez quelque part à la frontière entre réalité et fiction.

    Au début, l'histoire semble tout à fait réaliste; mais l'onirisme et le fantastique surgissent très vite dans la réalité et les frontières se brouillent entre rêve et réalité. La critique littéraire considère souvent que Murakami s'inscrit dans la lignée des auteurs du réalisme magique. Personnellement, je ne suis pas tout à fait convaincue. Sans doute parce que les codes et l'esthétisme de la littérature japonaise sont assez éloignés de ceux de la littérature hispano-américaine qui a vu naître ce mouvement littéraire. Également, parce que pour moi Murakami est un génie littéraire - n'ayons pas peur des mots - inclassable, avec un style très personnel et tellement inventif... Une imagination débordante et sans limites ! 

    Dans Kafka sur le rivage, comme dans l'oeuvre de Murakami en général, les frontières entre la réalité et le rêve ne sont jamais définies, tout comme les frontières entre les univers et les vies des personnages, dont les chemins se croisent et se décroisent. Ces personnages sont complexes, touchants et sensibles. Murakami nous les dépeint de manière à ce que l'on puisse s'attacher à chacun d'eux, pas uniquement aux deux personnages principaux. Les autres personnages ne sont pas des instruments presque transparents qui ne sont là que pour faire avancer l'histoire, ce sont des personnages entiers, consistants. Tout est travaillé chez Murakami: l'histoire, les personnages, l'univers... Ce qui donne un ensemble merveilleusement réussi.

    Très vite, l'univers de Murakami nous submerge et nous dépasse. C'est là que, comme Kafka sur le rivage - on comprend qu'il s'agit du rivage entre la réalité et le rêve - , nous devons choisir notre route: nous laisser porter par le roman, sans chercher à tout comprendre; ou s'accrocher à la réalité à tout prix et perdre la magie dans laquelle nous transporte Murakami. Toutes nos questions ne trouvent pas réponse. Pourtant, j'ai reposé le livre heureuse, enveloppée par cette magie, pour une fois sans vouloir à tout prix tout comprendre, tout rationaliser. Je pense que c'est un peu là le secret pour apprécier complètement ce roman: acceptez que l'auteur ne veuille pas répondre à toutes nos interrogations et laissez-vous emporter... 

    Finalement, il y a une question à laquelle j'ai bien envie d'avoir une réponse: quand Murakami aura-t-il enfin le prix Nobel de littérature qu'on nous promet depuis plusieurs années? 

    Envie de rejoindre Kafka sur son rivage?


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